• La passion rend-elle aveugle ?

    La passion rend-elle aveugle ?

    Oui : la passion est passive : elle nous aveugle, elle s’oppose à la raison et nous pousse à l’erreur.

    Non : la passion est active : elle suscite des désirs, elle est créatrice des moments intenses de notre vie, elle est le moteur de la raison qui nous pousse à agir.

     

     

    1ère partie : la passion est passivité, aveuglement, domination des sens. Elle s’oppose donc à l’action, à la clairvoyance et à la liberté ; elle est la faillite de la raison.

     

    L’homme passionné est dans l’obscurité de la caverne.

    Pour Platon, le soleil est le symbole de la Vérité. Le prisonnier de la caverne, l’homme, ne voit pas cette lumière ; il ne voit rien sinon des ombres car, retenu par des chaînes, il ne peut même pas tourner la tête. Ces liens sont ceux que le corps et les sens, alimentés par la passion, exercent sur son âme. Et s’il tente de quitter ses liens pour sortir de la caverne, il sera aveuglé par la lumière. La passion est le langage du corps et de l’imagination, elle est une servitude qui nous aveugle. Chez Aristote, elle est l’état de celui qui subit, son contraire étant l’action.

    La passion est déraison ; elle est une rupture d’équilibre.

    L’équilibre s’exerce normalement entre nos sens et notre raison. Le supporter pris dans le tourbillon des cris et de la violence n’écoute que sa passion ; il « est pris », il est « emporté », il n’est plus libre : tous ses comportements sont ceux de la passivité. De la même manière, l’assassin « ne se contrôle plus », le joueur de poker est « pris par le jeu », l’amoureux fou est « aveuglé » par son amour. Et lorsque je m’emporte, je suis « saisi » par la passion, avec tout ce qu’elle risque d’entraîner : peur, colère, haine, mépris, vengeance. Dominé par les pulsions de mes sens, je suis aveuglé. Il s’agit bien, au sens propre du terme, d’une déraison (une absence de raison), d’une folie.

     

    2ème partie : la passion est une force vitale, un principe d’action qui pousse à gagner, à aimer, à conquérir. Elle est la source des émotions et de la création et ne peut donc être aveugle.

     

    La passion est une énergie positive, un principe d’action.

    Si je n’éprouve plus de passion, je n’ai plus de désir et je suis voué à l’inaction. La passion du supporter est ce qui traduit son enthousiasme et sa ferveur dans ses actes ; son attachement pour son équipe est encore du domaine de la raison ; lorsqu’il veut le manifester, l’exprimer, il fait preuve de passion. C’est exactement ce que dit Hume lorsqu’il affirme que « la raison est et ne peut être que l’esclave des passions ». Pour gagner une partie d’échecs, pour gagner les faveurs de la femme que j’aime, il me faut un principe d’action qui me pousse à gagner, à aimer, à conquérir. Si, dans la passion subie, les mots sont passifs, ils deviennent actifs lorsque la passion est désir et énergie, lorsqu’elle devient une force vive de nos comportements. Rejeter nos passions, essayer de les étouffer, les attaquer « à la racine, c’est attaquer la vie à sa racine », ainsi parlait Nietzsche.

     

    La passion est à l’origine des émotions.

    Pour Bergson, la passion engendre les émotions ; elle est une lame de fond, profonde et durable, qui donne naissance à l’écume des émotions, passagères. Elle est comme un feu intérieur constant, qui répand dans mon corps des ondes de chaleur, des émotions, qui s’éteignent doucement. Et, comme la raison seule ne suffit pas à l’action et à la vie, « comme l’émotion signifie avant tout création », la passion ne peut donc être aveugle. Pour Hegel, elle est une véritable force de l’âme, une force à l’origine de tout ce qui s’est fait de grand dans l’histoire.

     

    Conclusion

    Passion et raison ne sont donc pas contradictoires. Certes, il est courant de voir en l’homme qui réfléchit, qui raisonne – le penseur, le philosophe – un être froid et calculateur qui ne se fie qu’à sa raison, qui cherche à éteindre ses passions pour s’élever au-dessus du monde, loin des hommes, débarrassé de la nécessité des choix de l’action. Le professeur qui dispense à une classe de « minus » son enseignement à coups de savoir théorique est peut-être de ceux-là. Le vrai philosophe, lui, se préoccupe du bien-vivre, il pense et il agit : telle est sa passion.


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