• La vie mondiale de 1871 à 1914

    La vie mondiale de 1871 à 1914

    Au cours des années 1871-1914, grâce à un effort intense d’exploration, au peuplement et à la mise en valeur des pays neufs, aux mouvements d’expansion coloniale et économique, à la montée des impérialismes, le champ d’activité de la vie mondiale a pris une grande extension, marquée par deux tendances contraires : solidarité et concurrence entre États. Le développement industriel a eu pour conséquences l’essor du syndicalisme, la propagation des idées socialistes, le développement du régime démocratique – mais aussi le renforcement de la puissance du capitalisme, des féodalités industrielles et financières.

     

     

    I – Les grandes explorations

     

    L’exploration du monde a été poursuivie activement pendant le dernier quart du 19ème siècle et au début du 20ème.

    Les progrès dans la connaissance du continent asiatique ont été le résultat de la pénétration européenne en Asie – notamment dans les grandes péninsules sud-asiatiques et en Chine intérieure – surtout des progrès de l’expansion russe en Asie septentrionale et centrale. Parmi les grands explorateurs, on peut citer le Russe Prjevalski qui traversa le continent jusqu’aux sources du Si-Kiang (1870-1885), et le Suédois Sven Hedin qui explora le Turkestan chinois et le Tibet (1890-1910).

    En Afrique – où l’exploration des régions intérieures avait commencé dans la période 1850-1870 – les Allemands Nachtigal (1871-1873) et Lenz (1880), le Français Flatters (1881), continuèrent la reconnaissance du Sahara ; Italien d’origine devenu officier français, Savorgnan de Brazza explora d’abord le Gabon (1875-1878), puis le bassin du Congo (1880) – dans le même temps que l’Anglais Cameron –, l’Américain Stanley prit possession de la plus grande partie du Congo (1874-1890) pour le compte du roi des Belges Léopold II ; le Français Binger continua l’exploration du Soudan dans sa partie occidentale (1888-1892).

    D’autres explorateurs, parmi les plus hardis, se sont consacrés à la rude tâche de l’exploration des régions polaires. A travers la banquise qui couvre les mers arctiques, l’Américain Peary a atteint le  pôle Nord en 1909. A travers les montagnes et les plateaux glacés d’un véritable continent antarctique, le pôle Sud a été atteint en 1911 par le Norvégien Amundsen, précédant de quelques jours seulement l’Anglais Scott, qui mourut de froid et de faim sur la route du retour.

    Les progrès réalisés ont été tels qu’on a pu entreprendre la confection d’une carte générale du globe au millionième.

     

    II – Mouvements de la population

    La population mondiale, en sensible augmentation dans la période précédente – 500 millions d’habitants au milieu du 17ème siècle, plus de 1200 millions en 1870 – a continué de s’accroître plus rapidement encore dans la période contemporaine.

     

    • Accroissement de la population européenne

    Rien qu’en Europe, la population est passée d’environ 130 millions d’habitants en 1750 à 300 millions en 1870 et 430 millions en 1914. Les causes de cet accroissement n’ont pas été partout les mêmes. Dans les pays industrialisés et riches comme l’Angleterre et l’Allemagne, ou dans les pays évolués comme les États scandinaves, c’est surtout la mortalité qui a diminué grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine, à l’amélioration des conditions de vie des classes laborieuses. Dans les pays agricoles et pauvres de l’Europe orientale et méditerranéenne – Russie, Balkans, Italie, Espagne – où la mortalité est demeurée forte, c’est le nombre élevé des naissances qui l’a emporté sur les décès.

    Seule la population de la France n’a que faiblement augmenté – 30 millions d’habitants en 1871, 39 millions en 1914 – en raison de la forte diminution de la natalité, passée dans le même temps de 26 naissances pour 1000 habitants à moins de 19. Par suite l’excédent annuel des naissances sur les décès est devenu de plus en plus faible : 93 000 en moyenne vers 1870, 15 000 vers 1910 ; certaines années même, il y a eu plus de décès que de naissances. C’est ainsi que la France, longtemps le pays le plus peuplé d’Europe, ne venait plus en 1914 qu’au 5ème rang après la Russie, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Angleterre, qui comptaient respectivement 120, 67, 53 et 46 millions d’habitants.

     

    • Émigration européenne ; peuplement et mise en valeur des pays neufs

    A mesure que s’est accrue la population de l’Europe, des Européens de plus en plus nombreux – 15 millions de 1890 à 1914 – ont émigré vers les pays neufs, dont la mise en valeur réclamait une abondante main d’œuvre. Les émigrants européens, surtout des Anglais et des Irlandais dans la première vague, renforcés d’Allemands et de Scandinaves à partir de 1880, ont compris principalement des Slaves d’Europe orientale et des Italiens à partir de 1900. La grande masse s’est dirigée vers les États-Unis – dont la population est passée de 39 millions d’habitants en 1870 à 100 millions en 1914 –, aussi vers les autres pays neufs d’Amérique : Canada, Argentine, Brésil. Une partie des émigrants britanniques s’est portée vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud. De nombreux Russes – plus d’un million entre 1893 et 1900 – sont allés peupler les steppes de la Sibérie occidentale. Tous ces émigrants ont contribué à l’équipement et à la mise en valeur des pays neufs ; ils devaient aboutir à faire de ces pays neufs les concurrents de l’Europe.

    Non seulement la France n’a joué qu’un rôle minime dans le mouvement d’émigration, mais son agriculture et son industrie manquant de main-d’œuvre, elle est elle-même devenue, dès le début du 20ème siècle, un centre d’immigration pour les travailleurs étrangers – Belges, Italiens… La France était, en 1914, le pays d’Europe qui comptait le plus grand nombre d’étrangers (plus d’un million).

     

    III – Rivalités économiques

     

    L’accroissement de la production sous toutes ces formes, les arrivages massifs de céréales américaines et asiatiques sur les marchés d’Europe occidentale et centrale, les extraordinaires progrès de la production manufacturière des États-Unis et le prodigieux essor de l’industrie allemande à un moment où les industries anglaise et française avaient pris un grand développement, ont déterminé en Europe, dans le dernier quart du 19ème siècle, un grave malaise économique, marqué par plusieurs crises de surproduction agricole et industrielle, une baisse générale des prix et un ralentissement des affaires.

     

    • Retour au protectionnisme

    Pour se défendre contre la concurrence étrangère, les États européens (Angleterre, Hollande et Belgique exceptés), aussi hors d’Europe les Etats-Unis, plus tard le Japon devenu grande puissance, le Canada, l’Australie, ont progressivement abandonné la politique commerciale du libre-échange, et remis en vigueur, plus ou moins complètement, le système protecteur. Le renforcement de leurs barrières douanières permit aux États protectionnistes de réserver une place privilégiée sur leur marché intérieur à la production nationale ; il en résulta des représailles, des guerres de tarifs douaniers. Ainsi, par une sorte de choc en retour, l’extension des relations internationales aboutit à fortifier le nationalisme économique.

     

    • Conquête de nouveaux débouchés ; essor des impérialismes

    Dans le même temps, les puissances industrielles en quête de nouveaux marchés où écouler leur excédent de production, de territoires aptes à procurer directement et à bon compte des matières premières à leurs usines, se sont disputé les derniers territoires vacants dans le monde, se sont hâtées d’étendre leurs domaines coloniaux, en Asie et en Afrique surtout. Quand le partage de la Terre fut à peu près achevé, elles ont constitué à leur profit, notamment en Chine, dans le Proche et le Moyen Orient, des zones d’influence économique où elles jouissaient d’une sorte de monopole d’exploitation. On a donné le nom d’impérialismes à ces mouvements d’expansion coloniale ou économique, marqués souvent de violentes rivalités entre États. Malgré une reprise des affaires dès le début du 20ème siècle, les antagonismes coloniaux et économiques s’ajoutèrent aux anciens antagonismes politiques et nationaux qui devaient mener à la Grande Guerre de 1914-1918.

     

    IV – Problèmes sociaux

     

    L’énorme accroissement du nombre des ouvriers dans les pays industrialisés a placé au premier plan la question ouvrière. Le régime économique (le régime capitaliste) servait surtout les intérêts d’une minorité, actionnaires des sociétés et chefs d’industrie ; quant à la population ouvrière, elle était trop souvent victime des bas salaires et du chômage résultant des crises de surproduction. Les masses populaires, plus éclairées grâce aux progrès de l’instruction primaire et à la diffusion de la presse à bon marché, se sont mêlées à la vie politique, se sont groupées en vue de faire aboutir leurs revendications. Leur mouvement s’est traduit par l’essor du syndicalisme et les progrès du socialisme.

     

    • Progrès du socialisme

    Sur le plan politique, les masses ont adhéré, en nombre toujours plus grand, au socialisme. Dans tous les pays, il s’est formé des partis socialistes, plus ou moins puissants, plus ou moins révolutionnaires, groupés en fédérations internationales. Sauf dans les pays anglo-saxons, la plupart des partis socialistes ont adopté un marxisme plus ou moins rigoureux. Ce qu’il y a d’essentiel dans les différentes doctrines socialistes, c’est la volonté de mettre fin à l’exploitation de l’homme par l’homme qu’est le régime capitaliste.

    L’Allemagne, la France, l’Angleterre ont été longtemps les principaux foyers du socialisme. En Allemagne, pour essayer d’enrayer les progrès du socialisme révolutionnaire, Bismarck lui opposé, à partir de 1883, le socialisme d’État – l’amélioration des conditions de vie des travailleurs par le gouvernement, au moyen de la législation sociale. En Angleterre, le mouvement socialiste a pris la forme modérée du travaillisme, qui cherchait avant tout à satisfaire les revendications ouvrières par des moyens opportunistes et légaux. D’autre part, après que le pape Léon XIII eut encouragé les dirigeants catholiques à s’intéresser aux questions ouvrières, il se constitua, en opposition à la doctrine marxiste, un socialisme chrétien, réformiste et pacifique.

    Jusqu’en 1914, nulle part les partis socialistes n’ont été assez puissants pour faire triompher leur politique ; ils ont tout au plus réussi, par leur pression sur les gouvernements, à obtenir le vote de quelques lois sociales en faveur des ouvriers. Mais, au cours de la Grande Guerre, les Russes devaient se montrer les plus audacieux des plus révolutionnaires ; après sa révolution victorieuse de 1917, la Russie devait être entièrement transformée par des disciples de Marx, Lénine et Trotski à leur tête.

     

    • Essor du syndicalisme

    Avant 1870, les associations ouvrières n’étaient pas reconnues légalement ; elles étaient tout au plus tolérées dans certains pays comme l’Angleterre. Dans le dernier quart du 19ème siècle, l’ampleur du mouvement ouvrier détermina la plupart des États à reconnaître aux ouvriers le droit de se grouper en syndicats pour la défense de leurs intérêts professionnels. Sans réussir à grouper la majorité de la classe ouvrière, le syndicalisme a pris une importance de plus en plus grande en constituant de puissantes fédérations ouvrières ; en 1914, l’Angleterre comptait près de 4 millions de syndiqués, l’Allemagne 3 millions, les États-Unis 1 million et demi, la France près d’un million.

    La plupart des gouvernements avaient encouragé l’organisation syndicale avec l’espoir qu’elle habituerait les ouvriers à la revendication pacifique et les détournerait des voies révolutionnaires. En fait, dans la plupart des pays, en Allemagne, en Angleterre, aux États-Unis, les syndicats se sont montrés surtout réformistes : par des moyens de législation ou de conciliation, ils ont cherché à obtenir des réformes, diminution du temps de travail, augmentation des salaires, protection et plus juste réglementation du travail. En France, il y a eu une minorité de syndicalistes révolutionnaires, partisans de la lutte à outrance contre le patronat par tous les moyens, y compris l’action directe : sabotage, grèves locales, grève générale et révolution ayant pour but l’émancipation du prolétariat.

     

    V – Progrès de la démocratie

     

    De 1870 à 1914, la vie politique a évolué, surtout en Angleterre et en France, vers la démocratie, c’est-à-dire vers un régime fondé sur la souveraineté du peuple, sur l’égalité des droits et des devoirs de tous les citoyens. Le suffrage universel a progressivement remplacé dans la plupart des États le suffrage censitaire (ou droit de vote réservé à ceux qui payaient un certain chiffre d’impôt ou cens). Les femmes ont même obtenu le droit de vote dans quelques États, en Nouvelle Zélande, en Australie et en Suède. L’instruction, sans laquelle les citoyens ne sont pas en état d’exercer leurs droits politiques, a été plus largement distribuée ; l’enseignement primaire a souvent été rendu gratuit et obligatoire. Enfin le régime militaire de la démocratie est devenu, sauf dans les pays anglo-saxons, le service obligatoire et de durée égale pour tous ; ce régime a remplacé progressivement l’ancien régime des armées de métier, du tirage au sort et du remplacement.

    Cependant le fonctionnement du régime démocratique a été souvent plus apparent que réel. Il a été faussé en effet par l’action des puissances financières et industrielles, et par des moyens divers : achat de nombreux journaux en tant qu’entreprises commerciales, et utilisation de la presse à des fins non seulement économiques, mais politiques ; corruption électorale et parlementaire – celle-ci est révélée en France par le scandale du Panama…

     

    VI – Création d’organismes internationaux

     

    L’évolution du monde contemporain, marquée par l’extension et la complexité croissante des relations internationales entre les pays même les plus éloignés, a amené la création de nombreux organismes internationaux : Union postale universelle (1874), Union télégraphique (1875), Union internationale pour la protection de la propriété industrielle (1883), Cour permanente d’arbitrage pour le règlement pacifique des conflits internationaux (1899), mais à laquelle le recours restait facultatif. Ainsi, par-dessus les frontières politiques et les barrières économiques des États, la vie internationale s’est trouvée influencée par deux tendances contraires : concurrence et solidarité.


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