• Le breton

    Le breton

    Quiconque se mettrait à voir des bigoudens, à califourchon sur des balais, chassant le goéland au son du biniou, avec ou sans épagneul breton, pourrait avoir abusé du chouchen ou du lambig ! Sans en avoir l’air, il n’en serait pas moins bretonnant… ou faut-il dire brittophone ? Le breton s’est en effet infiltré dans notre vocabulaire et, même si certains n’ont voulu y voir pendant longtemps qu’un baragouin, c’est une langue à part entière qui recèle plus d’un petit bijou.

                 

                    I – Pour ne pas y perdre son breton

     

    Pour tordre le cou à quelques idées reçues, on ne parle pas breton dans toute la Bretagne, mais on parle le breton depuis très longtemps – depuis que les Bretons ont traversé la Manche ! Entre le Ve et le VIIe siècle, fuyant les Saxons et les invasions venant d’Écosse et d’Irlande, ceux qui habitaient l’Île de Bretagne (aujourd’hui la Grande Bretagne) vinrent s’installer en Armorique. Dès lors, celle-ci changea de nom et fut appelée Britannia avant de devenir la Bretagne que nous connaissons.

    Ces nouveaux venus parlaient le brittonique, une langue qui prit le pas sur le gaulois, du moins dans la partie occidentale de la Bretagne. On continua, en effet, à parler gaulois dans la partie méridionale et une forme de bas-latin dans la partie orientale, très influencée par la conquête romaine. Voilà pourquoi, même si la frontière linguistique est moins nette aujourd’hui, le breton s’étend plus à l’ouest, en Basse Bretagne, qu’à l’est, en Haute Bretagne ou pays gallo.

    Ce n’est pas tout : on ne parle pas le breton mais le KLT ou le vannetais ! Il y a en effet quatre façons différentes de parler le breton, quatre dialectes correspondant à des zones géographiques précises : la Cornouaille (kerne en Breton), le Léon (leon), le Trégor (treger) et le Vannetais (gwened). On regroupe les trois premiers sous le sigle KLT (à partir de l’initiale de leur nom breton) parce qu’ils possèdent certains traits en commun, comme l’accent tonique sur l’avant-dernière syllabe, alors que la prononciation du vannetais est vraiment différente. Le léonard s’est progressivement imposé dans le Finistère, laissant aux trégorrois les Côtes-d’Armor et au vannetais le Morbihan. Il existe donc ceux bretons : celui du Nord-Ouest (le KLT) et celui du Su-Est (le vannetais).

    De là à considérer le breton comme un baragouin, il n’y avait qu’un pas, que franchirent allègrement tous ceux qui le condamnèrent. L’ironie de la chose, c’est que ce mot, qui faisait référence au parler des Bretons, jugé incompréhensible par les Français, a été formé sur des mots bretons : bara (le pain) et gwin (le vin), ce que demandaient les Bretons quand ils arrivaient dans les auberges, sans être toujours compris !

     

                    II – Des hauts et des bas

     

    Jusqu’en 1914, ceux qui parlent breton parlent rarement français. Mais aujourd’hui les Bretons bretonnant – ou brittophones – sont de plus en plus rares. Que s’est-il passé ?

    Tout a commencé par la réunion du duché de Bretagne à la France en 1532 et par l’interdiction d’utiliser le breton dans les actes officiels. On continua à le parler, mais on l’écrivit de moins en moins. Puis vint la Révolution de 1789, qui voulut fonder l’unité linguistique de la France en éradiquant les langues régionales et en les bannissant notamment de l’école. Mais le coup le plus rude vint de l’intérieur, après la Première Guerre mondiale et pendant l’exode rural de la première moitié du XXe siècle. Le breton fut alors perçu comme un handicap par les Bretons eux-mêmes, parce qu’il rendait leur intégration difficile.

    Ce déclin du breton en émut certains, qui s’organisèrent pour en relancer la pratique. Aussi vit-on paraître, après la Seconde Guerre mondiale, un plus grand nombre de revues en breton ; puis vinrent les émissions de radio et de télévision. Les écoles diwan (le germe) furent créées en 1977 pour apprendre le breton aux enfants qui ne le savaient plus. Des classes bilingues virent également le jour et des panneaux de signalisation dans les deux langues commencèrent à fleurir en Bretagne, offrant ainsi en cuisant démenti à tous ceux qui voulaient enterrer le breton.

     

                    III – Une langue vivante

     

    Le breton est en effet une langue à part entière, avec son vocabulaire, sa grammaire, son orthographe. Mais c’est aussi le moyen d’exprimer la singularité d’une culture qu’on aurait tort de réduire aux crêpes et aux menhirs…

    De nombreux mots bretons sont, de fait, passés dans la langue sans avoir été traduits. Les korrigans (où l’on retrouve le mot korr : nains) sont ainsi des esprits malfaisants qui peuplent les contes et les légendes. Les binious sont de tous les festou-noz (littéralement, fêtes de nuit) où se produit un bagad (un ensemble musical). Et nous pouvons les écouter en nous régalant de kouign amann ou de far (deux savoureux gâteaux bretons), en sirotant du chouchen (nom local de l’hydromel) ou du lambig (une eau-de-vie de cidre bretonne) ! Ce régime n’est peut-être pas idéal lorsqu’on s’essaie au gouren, une forme de lutte bretonne, essentiellement pratiquée en Bretagne, en Cornouailles anglaises et en Écosse, où les lutteurs prêtent un serment chevaleresque avant chaque compétition, en souvenir des nobles origines de ce sport.

    Le breton a aussi laissé son empreinte dans des noms de lieux ou de personnes. Un bretonnant sait que le Morbihan est littéralement la petite mer et que le raz est un violent courant marin qui se fait sentir dans un passage étroit comme la pointe du Raz, où sévit le raz de Sein. Il reconnaîtra sans peine dans un Kersauson un descendant du village des Anglais. Il verra dans un Le Bras un descendant d’une personne de grande taille et dans un Le Bihan celui d’une personne de petite taille, qui pourra entre temps avoir beaucoup grandi.

    Parce que les Bretons ont toujours été des pêcheurs, on a gardé les mots bretons pour désigner certains poissons comme le lieu (du breton leouek) ou le tacaud (issu de takohed). Et vous bretonnez quand vous demandez à votre poissonnier des darnes de poisson (en breton : le morceau) et des berniques ! C’est aussi un mot breton, la boëtte, qu’on utilise pour les appâts servant à la pêche en mer. Pour rester en bord de mer, le goéland (gwel-an : le petit plumier) et le goémon ont également un petit air breton, alors que la mouette et le varech, qui désignent les même choses, sont des mots normands.

    Mais les origines bretonnes des mots bijou et balai sont davantage contestées, même si certains voient dans le premier le mot bizou qui désigne un anneau pour le doigt (biz en breton) et dans le second le balazn, autrement dit le genêt dont on faisait effectivement les balais.

    Enfin, il existe des hybrides, mélanges de français et de breton. Le plus coquin est sans doute l’expression à califourchon, position assez peu confortable qui consiste à passer une jambe d’un côté et la deuxième de l’autre ; elle aurait pour étymologie le mot fourche (la fourche que font métaphoriquement les jambes) et le mot breton kallen qui désigne les testicules…


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