• Le mouvement des idées ; les lettres et les arts

    Le mouvement des idées ; les lettres et les arts

     

    Dans la période d’avant 1914, la science a marqué de son empreinte, plus ou moins fortement, toutes les formes de l’activité intellectuelle. Elle a fourni aux penseurs, aux écrivains, aux artistes, de nouvelles conceptions, de nouvelles sources d’inspiration, de nouvelles techniques.

     

     

    I – Les grands courants de la pensée philosophique

     

    La pensée contemporaine a été profondément influencée par le progrès scientifique. Il s’est formé des doctrines scientistes, qui ont pris la science pour leur point d’appui et pour leur guide. En France, les plus illustres représentants du scientisme ont été Auguste Comte (1857), fondateur du positivisme, système de philosophie qui s’en tient aux faits d’expérience, Renan qui, dès 1848, avait écrit un livre pour proclamer sa foi dans l’Avenir de la Science, et Taine, qui enseignait que les faits humains, déterminés par la race, le milieu et le moment, sont soumis à des lois comme les faits de la nature, que leur étude relève donc des méthodes scientifiques. En Angleterre, Herbert Spencer, s’appuyant sur les travaux du naturaliste Darwin, construisait tout un système philosophique et moral fondé sur l’idée d’évolution. Certaines branches de la philosophie tendirent à se constituer comme sciences : la psychologie ou étude des phénomènes mentaux, avec les Français Ribot et Janet, l’Autrichien Freud, qui lui appliquèrent la méthode expérimentale ; la sociologie ou étude des phénomènes sociaux, avec les Français Durkheim, qui établit l’existence des croyances morales collectives, et Lévy-Bruhl qui fonda la science des mœurs. Malgré de vives résistances, le scientisme prédomina jusque vers la fin du 19ème siècle.

    Mais alors une réaction commença à se produire, favorisée par les études critiques des savants, notamment celles du mathématicien Poincaré sur la « Valeur de la Science » (1906). Sans nier la valeur pratique de la science, les doctrines anti scientistes ont assigné des limites à son domaine d’investigation – la science ne doit pas empiéter sur le domaine réservé à la philosophie et à la religion. C’est en France, avec Bergson, que cette réaction s’est affirmée avec le plus de force : pour ce philosophe, la science, construction de l’intelligence, est inapte à saisir et expliquer le jaillissement continu de la vie, qui est mobile et imprévisible ; d’où un essai de reconstruction de la connaissance philosophique à partir des données immédiates de la conscience – sans l’intermédiaire du raisonnement – ce qu’on appelle l’intuition.

    Toute l’histoire de la pensée contemporaine ne se résume pas en ces deux courants contraires. Certains penseurs ont échappé à la hantise de la science : l’un des plus originaux a été l’Allemand Nietzsche, qui exalta la Volonté de Puissance – seuls font œuvre valable les forts, les héros, les « surhommes ».

     

    II – Les doctrines sociales ; le marxisme

     

    Les doctrines sociales, nombreuses et diverses, ont évolué sous les mêmes influences. Rien de plus frappant à cet égard que les efforts du socialisme pour se dégager du romantisme utopique et se donner une base scientifique. Cette évolution se résume dans une œuvre maîtresse, celle de Karl Marx ; la doctrine marxiste se présente non pas comme un système idéal, mais comme l’expression générale des conditions de fait, et par là prétend au titre de socialisme scientifique. Professant que toute l’évolution historique est commandée par la lutte de classes, le marxisme enseigne que tous les salariés doivent s’organiser en un parti de classe, international, et conquérir les pouvoirs publics pour établir le collectivisme, c’est-à-dire la propriété collective des moyens de production et d’échange, terres, mines, fabriques, chemins de fer, banques… Le marxisme n’a pas tardé à prendre une influence prédominante dans les mouvements socialistes de tous les pays, sauf les pays anglo-saxons.

     

    III – Les grands courants littéraires

     

    Jamais la production littéraire n’a été plus abondante qu’à l’époque contemporaine. Un genre a éclipsé tous les autres, le roman – sans doute en raison de la vente lucrative de cette sorte d’ouvrages qui atteint plus facilement le grand public.

     

    • Roman et théâtre : réalisme et naturalisme

    Au romantisme passé de mode après 1850, a succédé peu à peu le réalisme, c’est-à-dire le souci de peindre la réalité telle qu’elle est, le goût de l’observation exacte, précise et minutieuse. C’est en 1857 que Flaubert publia le chef d’œuvre du roman réaliste, « Mme Bovary », histoire de la vie d’une petite bourgeoise provinciale. A la même époque, le drame romantique cédait la place à la comédie de mœurs ; on jouait, en 1856, « le Gendre de Monsieur Poirier » d’Augier, qui fut le peintre fidèle de la bourgeoisie française. Les frères de Goncourt, dans leurs romans comme « Germinie Lacerteux » (1865), histoire d’une pauvre domestique, s’efforcèrent de « livrer au public des tranches de vie ». Alphonse Daudet fut le peintre de la société parisienne et du Midi provençal ; Guy de Maupassant écrivit des nouvelles d’un réalisme amer.

    Exagérant ses propres tendances, et surtout ses prétentions scientifiques, le réalisme évolua vers le naturalisme ; les écrivains naturalistes prétendirent faire des œuvres de savants qui expérimentent et concluent. Zola, fondateur du roman expérimental, écrivit les « Rougon-Macquart », histoire naturelle d’une famille sous le Second Empire (1871-1893). Au théâtre, « les Corbeaux » de Becque (1882) – tableau d’une famille en deuil exploitée par des hommes d’affaires – furent le chef d’œuvre de la comédie naturaliste.

    Dans la diversité de la production contemporaine, bien d’autres tendances se sont manifestées. Par réaction contre les excès du naturalisme, le public a acclamé avec enthousiasme les drames en vers d’Edmond Rostand, surtout « Cyrano de Bergerac » (1897) qui ressuscitait le romantisme le plus empanaché. Vers la fin du 19ème siècle, le roman est devenu un cadre commode où l’on mit de tout : descriptions exotiques de Loti, badinages philosophiques d’Anatole France… Le trait le plus frappant de la littérature à la veille de la guerre de 1914-1918 était l’importance croissante des préoccupations sociales, morales, religieuses. Il y avait des écrivains socialisants, d’autres se faisaient les théoriciens du nationalisme, d’autres penchaient vers le mysticisme chrétien. La littérature était devenue militante.

     

    • Poésie : du romantisme au symbolisme

    C’est dans la poésie que le lyrisme romantique a le plus longtemps survécu. Le grand poète populaire Victor Hugo, républicain proscrit après le coup d’Etat du 2 décembre, écrivit en exil ses œuvres les plus puissantes, « Les Châtiments » (1855), « La Légende des Siècles » (1859)… Cependant, dès le Second Empire, s’était constituée une école nouvelle de poètes, descriptifs et impersonnels, soucieux avant tout de la perfection de la forme : c’est l’école parnassienne dont le maître a été Leconte de Lisle, l’auteur des « Poèmes barbares » (1863) ; son disciple Heredia a écrit des sonnets ciselés comme des pièces d’orfèvrerie, « les Trophées » (1893).

    A la suite de Baudelaire, qui publia en 1857 « Les Fleurs du Mal », d’autres poètes ont évolué vers le symbolisme ; l’école symboliste, rejetant toutes les règles traditionnelles de la poésie, a cherché à évoquer la vie profonde et mystérieuse de l’être à l’aide de formes nouvelles d’expression rivalisant en fluidité et harmonie avec la musique. Mallarmé fut le maître de l’école nouvelle, Verlaine son poète le plus inspiré, Rimbaud le plus révolutionnaire.

    La foi catholique a inspiré, au début du 20ème siècle, la grande œuvre poétique de Péguy, et les premières pièces de théâtre de Claudel – la plus connue est « l’Annonce faite à Marie » (1912).

     

    • Littératures étrangères

    Hors de France, il y eut aussi pendant cette période de grands écrivains. Parmi les plus connus, en Angleterre se détachent les noms de deux romanciers : Wells qui fit une critique réaliste de la société anglaise, et Rudyard Kipling, l’auteur du « Livre de la Jungle », qui s’est fait le chantre de l’Empire britannique ; Bernard Shaw, un maître de l’humour, a écrit pour le théâtre ; Tennyson est resté le plus grand poète lyrique. L’écrivain scandinave le plus puissant a été le Norvégien Ibsen, dont les drames (Une maison de poupée-1879 ; Les Revenants-1882), à la fois réalistes et symbolistes, mettent en scène l’individu luttant contre les préjugés et la contrainte sociale. La Russie a eu surtout de grands romanciers qui ont écrit des œuvres réalistes, mais aussi profondément humaines, toutes pénétrées de charité ; à la première génération appartiennent Dostoïevski, l’auteur de « Crime et Châtiment » (1866), Tolstoï, apôtre passionné d’une sorte de christianisme primitif et anarchique, qui s’est montré dans ses œuvres  - « La Guerre et la Paix » (1869), « Anna Karénine » (1880)… - un véritable historien de l’âme russe au 19ème siècle ; puis viennent Tchekhov et  Gorki, celui-ci sorti du peuple, auteur des « Bas-fonds », de « La Mère » (1907), peintre émouvant de la souffrance populaire. Au début du 20ème siècle, l’écrivain le plus en vue était l’Italien d’Annunzio, poète éblouissant, romancier fougueux et passionné, patriote exalté.

     

    IV – L’histoire

     

    L’esprit scientifique, dont l’influence était déjà très sensible dans le domaine purement littéraire, a pénétré surtout et transformé l’histoire. Il y a eu une vive réaction contre la tendance romantique, que Michelet représente cependant avec éclat jusqu’en 1874. Dans l’œuvre maîtresse de Taine « Les Origines de la France contemporaine » (1876-1894), l’esprit de système l’emporte encore sur l’esprit d’observation. Renan, dans son « Histoire des origines du christianisme » (1863-1880), est artiste autant qu’érudit. Mais Fustel de Coulanges a donné dans « La Cité antique » (1864) et « La Monarchie française » (1888) les premiers modèles de l’histoire objective, impersonnelle, qui vise à se dégager de toute idée préconçue, de toute fantaisie d’imagination. L’histoire a cessé d’être une branche de la littérature ; on a prétendu faire d’elle une branche de la science. Fondée sur la critique minutieuse des documents, renouvelée par les progrès de l’érudition, elle a pris en fait une place intermédiaire entre la littérature et la science.

    Dans la période d’avant 1914, c’est le mouvement historique allemand qui a été le plus puissant. Mommsen s’est consacré à « l’Histoire romaine ». Treitschke a commencé « l’Histoire de l’Allemagne au 19ème siècle » ; Sybel a publié son grand ouvrage sur la « Fondation de l’Empire allemand » (1889-1894) – ces œuvres ont contribué à fortifier le sentiment national en Allemagne. En Angleterre, Green a écrit une vivante « Histoire du peuple anglais ».

     

    V – Les Beaux-arts

     

    Le mouvement artistique a eu la même variété et les mêmes audaces que le mouvement littéraire. Comme lui, il s’est étendu à toutes les nations. Cependant la France, Paris surtout, est restée le centre artistique le plus actif, le pays des initiatives originales.

     

    • Peinture

    En même temps que le roman et le théâtre, la peinture s’est orientée vers le réalisme. Aux tableaux historiques à la mode sous Louis-Philippe, les meilleurs peintres préfèrent les paysages ou les scènes de mœurs contemporaines. Sous le Second Empire, Courbet fut le chef de l’école réaliste, le peintre des « Casseurs de pierres » et de « l’Enterrement à Ornans ». Corot fut le grand maître du paysage, Millet le peintre de la vie et des rudes travaux du paysan. Par la suite, sous l’influence de Manet, le réalisme s’orienta vers l’impressionnisme : les peintres, Monet, Renoir, s’efforcèrent d’exprimer leurs impressions en toute sincérité, de saisir les impressions les plus fugitives, les vibrations de la lumière, par exemple. A la même époque, la peinture idéaliste était représentée par Puvis de Chavannes, dont les vastes compositions décoratives sont d’une sérénité toute classique. Cependant la vision de la réalité était renouvelée par des maîtres isolés et encore peu connus, le Hollandais Van Gogh, les Français Gauguin, Cézanne, Toulouse-Lautrec, Matisse. Vers 1908 se constitua un mouvement nouveau, le cubisme, représenté par Braque et l’espagnol Picasso, à partir duquel devait s’opérer, dans la période suivante, une véritable révolution dans les conceptions picturales.

     

    • Sculpture

    La sculpture a eu aussi ses novateurs, qui se sont imposés par la puissance de leur génie ; sous le Second Empire, Carpeaux a su animer d’une vie ardente ses bustes et ses groupes dont le plus célèbre, « la Danse », orne la façade de l’Opéra ; après lui, Rodin, dont certaines œuvres, fragments d’une monumentale « Porte de l’Enfer », expriment au paroxysme toutes les passions et la douleur humaines ; puis Bourdelle et Maillol.

     

    • Architecture

    L’architecture s’est dégagée plus lentement de la routine académique. L’Opéra, l’œuvre la plus représentative du Second Empire, vaut surtout par la combinaison élégante des styles, la somptuosité de la décoration. Malgré les hardiesses croissantes de la construction métallique, les architectes hésitaient à s’engager dans des voies nouvelles. C’est au début du 20ème siècle seulement que l’emploi du ciment armé a créé un nouveau style architectural, rationnel, géométrique et  nu ; aux États-Unis, on construisit les premiers « gratte-ciel ».

     

    • Arts décoratifs

    Les arts décoratifs, en pleine renaissance depuis la fin du 19ème siècle, se sont engagés dans la même voie que l’architecture. Des artistes de valeur ont renouvelé la céramique, la verrerie, la joaillerie, l’ébénisterie, les tissus, la broderie, jusqu’aux papiers peintes et aux affiches de rue. Un art moderne, entièrement nouveau tendit à se constituer. L’aspect des villes, des maisons, le décor des appartements, tout devait changer avec rapidité.


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