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"Les Regrets", par Joachim du BELLAY
Pendant son séjour à Rome, un poète français, déçu et souffrant, critique la Renaissance italienne et aspire au retour dans sa patrie.
"Les Regrets" sont un recueil de 191 sonnets que Joachim du Bellay composa à Rome en 1557, soit 4 ans après "Les Antiquités de Rome". Les deux livres furent publiés en 1558, deux ans avant la mort du poète.
"Les Regrets" sont un livre moderne pour l'époque, original parce qu'ils sont entièrement composés en alexandrins, parce qu'ils sont un recueil frère ("Les Antiquités") et surtout parce qu'ils ne sont pas un recueil amoureux.
Mélancolique séjour
C'est vers la fin de son séjour que du Bellay entreprend d'écrire ces sonnets ; comme une antithèse des "Antiquités". Il a 35 ans. Depuis six ans, il accompagne en Italie son cousin, le cardinal du Bellay, ambassadeur de France auprès du pape. Joachim est intendant de la maison du cardinal.
Passés les éblouissements que lui procure la vue des monuments romains, la splendeur de la Ville éternelle, chargé de besognes qui ne conviennent pas à ses goûts, spectateur des bassesses des courtisans du pape, il se met à détester cette vie qui lui est faite. Il sait qu'en France d'autres ont profité de son absence pour le remplacer auprès des Grands et qu'il est oublié.
Surtout, il est plein de nostalgie en songeant à la vie paisible et rustique de son pays, l'Anjou, à son bon sens qui s'oppose au monde romain, rocailleux, sournois et intrigant. Il en perd le goût d'écrire : "De la postérité je n'ai plus de souci/Cette divine ardeur, je ne l'ai plus aussi/Et les muses de moi, comme étranges, s'enfuient."
Il ne peut s'empêcher, se dispenser d'écrire, mais il ne veut pas se donner trop de peine en composant ses sonnets. Il livre ses impressions comme elles viennent : "Je me plains à mes vers si j'ai quelque regret, /Je me ris avec eux, je leur dis mon secret."
Une satire amère
Volontiers satiriques, 82 sonnets décrivent la vie à Rome, la vie de tous les jours et le déroulement historique des événements. Du Bellay raconte son voyage, son retour en France et sa désillusion : la cour de François Ier est semblable à celle des prélats de l’Église. Sa seule consolation est l'immense amour qu'il porte à Madame, sœur du roi, Marguerite de Navarre, l'épouse du duc de Savoie, à qui il dédie la dernière partie du recueil, consacrée aux portraits de ses contemporains.
Les Regrets sont autant un document historique en ce qu'ils décrivent précisément les mœurs et les gestes d'une époque dans un lieu donné qu'un monument littéraire dont sont empreints les écrivains d'aujourd'hui.
Du Bellay a inventé un genre littéraire, le "regret" qui s'attache à exprimer poétiquement l'"estrangement", l'indifférence, le divorce entre les choses et soi, le monde et soi, et entre soi et soi-même. Il se démarque ainsi de tous les auteurs alors connus.
Au reste, Les Regrets sont très vivants : 145 personnages animent les sonnets. A leur suite, une foule de figurants, de courtisans, de passants, d'artisans est décrite pour marquer la vie dans l'écoulement des jours.
"L'organisation des Regrets est fort simple. De la déploration, du regret proprement dit, on passe à l'observation, puis à la satire. Satirisant, on passe d'Italie en France. Et "la France regrettant", et la France regardant, on passe de la satire à l'éloge." (Yvonne Bélenger, "Du Bellay, ses regrets qu'il fit dans Rome".)
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