• Les mots familiers et argotiques pour désigner la nourriture

     

    A la soupe ! A la croûte ! A la bouffe ! Au rata ! C’est l’heure de la briffe ! La langue populaire ne manque pas de ressources pour nous inviter à casser une croûte ou à faire gogaille. Autant de savoureuses expressions pour nous affûter les meules et nous mettre en goule, histoire de nous caresser l’angoulême. A moins que nous ne soyons contraints de jouer du fifre et de bouffer des briques ? Mais si quelqu’un a la dent, il trouvera ici de la carrelure de ventre

     

     

                   1 – Pour se mettre en appétit

     

    La langue populaire ne manque, en effet, ni de mots ni d’images pour parler de nourriture.

    Elle a recours aux images animales quand elle l’évoque sous la forme d’une becquetance, qui transforme notre bouche en bec. Manger consiste alors à travailler du bec et boire à se rincer le bec. On peut donc becqueter dans le langage familier ou becquiller en argot. Dans le même registre on pourra aussi picorer dans son assiette, comme le font les oiseaux, piquant çà et là notre nourriture, pour casser la graine. Le porc le dispute au volatile quand il s’agit de jambonner ou de régaler son cochon. On peut imaginer l’analogie peu flatteuse, mais elle est expressive, comme le sont les expressions détaillant les parties de notre corps que concerne la nourriture.

    On peut d’ailleurs suivre le trajet de celle-ci de la bouche à l’estomac : manger, c’est d’abord affûter ses meules (faire travailler ses dents pour qu’elles broient la nourriture comme le ferait une meule), se caler les joues, se caresser l’angoulême (le palais en argot parisien), puis se caler les amygdales, avant de se remplir le ventre. Et les images sont nombreuses pour désigner celui-ci : on peut ainsi se mettre quelque chose dans le cornet (se remplir l’estomac), s’en mettre plein la lampe ou le lampion (par analogie avec le verbe lamper : boire à grandes gorgées), ou encore se farcir la panse (la panse farcie est d’ailleurs un plat écossais… mais il s’agit alors de panse de brebis), au point de s’en faire péter le ventre, voire s’en faire éclater la sous-ventrière.

    La nourriture elle-même apparaît comme de la carrelure de ventre parce qu’elle va le remplir et l’orner. La bouffe – popularisée en 1973 par Marco Ferreri dans son film La Grande Bouffe – et ses dérivés bouftance ou boustifaille nous rappellent que bouffer, c’est mot à mot se rendre bouffi de nourriture, en mangeant avec excès, et avoir les joues gonflées, comme dans le familier boulotter qui a donné la boulotte pour qualifier un repas.

     

                    2 – Le menu

     

    D’autres expressions populaires ou argotiques annoncent davantage le menu en faisant référence aux mets ou aux plats traditionnels qui, par extension, finissent par valoir pour l’ensemble de la nourriture. Désigner la nourriture par la briffe, c’est en effet rappeler le gros morceau de pain qui constituait l’essentiel des repas populaires et qu’on nommait briffe, bricheton ou brignolet. C’est ce même pain qu’on retrouve dans les expressions comme casser la croûte ou croûter, ainsi que dans la croustance ou croustille, mots qui s’adressent à nos papilles autant qu’à nos oreilles puisqu’on y entend presque croustiller le plat annoncé. D’autres expressions font référence à la soupe qui accompagnait le pain comme la jaffe, dérivée d’un verbe signifiant « bouillir ».

    La plupart évoquent plutôt une nourriture de mauvaise qualité. La ratatouille, abrégée en rata, nous vient de l’argot militaire et qualifiait la nourriture donnée aux soldats. La ragougnasse n’est pas plus appétissante. Une ration de la ramée est moins engageante encore puisqu’elle désigne la nourriture qu’on sert en prison. Le fricot et le frichti qualifiaient aussi, à l’origine, de grossiers ragoûts et la graille une nourriture aussi peu raffinée. La tambouille, la tortore évoquent également une cuisine médiocre. La frigousse, en revanche, issue du verbe fricasser, désigne une bonne cuisine. Aimer la frigousse dans la langue populaire, c’est aimer la bonne chère.

    A la carte : si vous ne voulez pas vous contenter d’un casse-dalle qui mettrait fin à votre faim, comme son nom l’indique, sans pour autant vous régaler, vous pourriez commencer votre bectance par une lavasse (potage), suivie d’un poiscaille (poisson) ou d’un plat de bidoche (viande), à condition que la barbaque ne soit pas de la carne ou un morceau de bergougnan (une viande très dure) accompagné d’un rata de loubiats (ragoût de haricots). Finissez sur du fromtegom, du frometon ou du fromgi (fromage), par exemple avec un bon calendos (camembert). Faites glisser le tout avec un pierrot (verre de vin blanc), du cassis de lutteur (vin rouge), une mousseuse (bière), ou contentez-vous de château-lapompe (eau du robinet) ou d’eau à ressort (eau gazeuse). Une tasse de jus (café) sera la bienvenue, mais il serait peu raisonnable de prendre aussi un verre de casse-poitrine (eau-de-vie) ou une roteuse (bouteille de champagne).

     

                    3 – Se taper la cloche

     

    Il y a plusieurs façons de se comporter face à la nourriture, ce qu’illustrent des expressions variées. On peut être une bonne fourchette (un homme de grand appétit, sachant jouer de la fourchette) sans être pour autant un crevard ou un morfale (un goinfre).

    Mais on peut aussi faire preuve de gloutonnerie en bouffant comme un chancre (cette expression fait allusion à l’image de l’ulcère qui dévore les tissus) et en torchant tous les plats (les engloutir sans en laisser une miette).

    Certains se payent la ribote (commettent de joyeux excès de table ou de boisson) et se font les boyaux comme des manches de ministre. D’autres aiment la liche (aiment boire) et ne conçoivent pas faire gogaille (un repas copieux) sans boire comme un trou (beaucoup) et se taper la ruche (être ivre mort).

    Mais il en est aussi qui mangent avec un lance-pierre (très rapidement), pendant que les plus malheureux se contentent de danser devant le buffet, de manger par cœur (se passer de manger) ; ils doivent se brosser le ventre (pour lui faire oublier l’heure du repas), se résignant à jouer du fifre (jeûner) ou à manger des briques (des miettes).


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